Contre le confusionnisme de gauche : pourquoi il n’y a pas de fascisme français

Parmi les inversions accusatoires habituelles de la soi-disant gauche radicale1, il y a l’accusation de confusionnisme de la part des patriotes, sous-entendant sans jamais le démontrer, que le camp national mélange tout, pour créer une confusion chez celui qui écoute son discours. Mais par contre, cette même extrême gauche ne s’embarrasse jamais de subtilités lorsqu’il s’agit de qualifier ses adversaires, qui sont nécessairement d’extrême droite et fascistes.

Le premier problème sur cette question, est que les communistes dès avant la seconde guerre mondiale, ont accusé tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec eux de fascisme, y compris par exemple le Général De Gaulle. L’extrême gauche a conservé cette habitude.

Mais lorsqu’on est sérieux, on sait que le nationalisme au singulier cela n’existe pas, et qu’il existe de nombreux courants, souvent très différents d’un pays à un autre. En France il y a essentiellement ainsi diverses tendances, très différentes.

Les Contre-révolutionnaires

Joseph de Maistre

Il existe tout d’abord les Contre-révolutionnaires autour de Joseph de Maistre et de Louis de Bonald, dont l’objet principal est la critique de la révolution de 1789 comme destruction des solidarités historiques que sont la corporation (loi Le Chapelier, fondement historique de l’interdiction des syndicats ouvriers) la paroisse, la province, et la monarchie, protectrice des corporations et stabilisatrice du prix des matières premières, contre la spéculation défendue par les libéraux. Globalement cette tendance n’existe plus qu’à titre de témoignage culturel et a été phagocytée par la suivante.

L’Action française

Charles Maurras

L’Action française est le second grand mouvement de la droite nationale française. Elle se structure autour de Maurice Pujo et de Henri Vaugeois, qui sont plutôt des républicains de gauche, mais qui formulent une critique de la IIIème république, en tant que traîtresse de ses promesses2. Il y a aussi durant cette période de nombreux scandales financiers, et la critique de l’anglophilie des milieux d’affaires perçue comme une trahison de l’intérêt national. Ce à quoi, Charles Maurras dans Enquête sur la monarchie va répondre que la défense des intérêts de la nation3, passe par le rétablissement de la royauté qui avait défendu les intérêts de la France, au moins jusqu’à Louis XIV4. C’est aussi un mouvement très régionaliste5, décentralisateur, d’ailleurs, un des axes de pensée de Maurras est son fameux l’autorité en haut, les libertés en bas. Ce qui explique sa critique de la politique centralisatrice menée par les jacobins. Avant la guerre de 14, c’est un mouvement très porté sur la question sociale, qui un temps entretiendra des relations avec le milieu syndicaliste révolutionnaire6 d’Edouard Berth7 et Georges Sorel8, au sein du Cercle Proudhon9.

Dominique Venner

Le tournant Dominique Venner

Le troisième grand courant de la droite nationale française naît dans les années 60, d’abord autour de Dominique Venner et de son Pour une critique positive10. Il lancera une revue, Europe-Action, qui veut surtout rompre avec les traditions de la droite nationale classique. C’est un mouvement européiste, non francocentré, païen, anti-catholique, rejetant la thématique de l’Algérie française, et plutôt raciste à ses débuts.

Francois Duprat

Les nationalistes révolutionnaires

A partir de là se formeront deux tendances, les nationalistes révolutionnaires, autour de François Duprat surtout, dont Christian Bouchet fut longtemps un représentant. Très vite ce mouvement rompt avec le racisme pour passer à l’ethno-différentialisme, c’est à dire l’idée d’une nécessité de la préservation de tous les peuples, à égalité de dignité, ce qui s’oppose évidemment au racisme qui hiérarchise les races. C’est aussi en France la naissance d’une droite nationale anti-sioniste11, et tiers-mondiste, défendant par exemple le nationalisme arabe ba’assiste ou nasserien.

Le GRECE

Alain de Benoist

L’autre mouvement qui découlera d’Europe action est moins politique, plus métapolitique, c’est le GRECE12. C’est un mouvement païen, euro-fédéraliste, ethno-différentialiste, tiers-mondiste13, anti-libéral et anti-communiste, assez anti-américain, très inspiré de Nietzsche, de la Révolution Conservatrice Allemande14, la figure centrale de ce mouvement étant Alain de Benoist. C’est aussi un mouvement qui défend particulièrement la démocratie directe. D’ailleurs son ethno-différentialisme est très teinté de culturalisme. L’intégration à une nation passe pour lui plus par l’adhésion à une culture qu’à une appartenance biologique. De Benoist a d’ailleurs écrit trois livres contre le racisme, et même appelé l’un d’eux, tout simplement « contre le racisme ».

Pierre Poujade

Le poujadisme

Entre temps, il y avait eu le poujadisme, qui est avant tout une contestation du système fiscal en défaveur de la libre entreprise, et une lutte contre la IVème république. Son principal défaut était que Pierre Poujade n’a jamais voulu de théorisation. Alors qu’en Allemagne, l’Ordoliberalismus15 porté par l’aile sociale de la CDU-CSU et le droite agrarienne scandinave ou suisse en est un équivalent tout à fait sérieux.

La droite bonapartiste

Jean-Marie le Pen

Il y a aussi en France la droite bonapartiste telle que définie par René Rémond, qui se définit surtout par son caractère plébiscitaire, sa méfiance envers les parlementaires qui privent le peuple de la parole politique. On retrouve cette mouvance autour du Général Boulanger, de certaines ligues des années 30 comme les Croix de feu16, ou plus tard De Gaulle, dont les dernières incarnations ont pu être Philippe Seguin, Jacques Chaban-Delmas ou d’une certaine façon Chevènement prolongeant la synthèse des gaullistes sociaux de l’UDT17. Actuellement, c’est surtout représenté par ce qu’on appelle les souverainistes.

L’absence de fascisme français

Depuis Zeev Sternhell18, traîne l’idée approximative de l’origine française du fascisme. Or, en y regardant de près, la définition du fascisme de Sternhell est qu’il s’agit de toute idéologie n’étant ni libérale, ni marxiste, et que le point central du fascisme, est le rejet de l’héritage philosophiques des Lumières. Évidemment, avec une définition si large, à peu près tout en dehors du libéralisme et du marxisme y rentre.

Si on veut faire une définition rigoureuse du fascisme, c’est un mouvement centralisateur19 anti-marxiste, certes capitaliste, mais contre l’usure20 21 et anti-électoraliste22 23. En dehors de très éphémères expériences dans l’entre-deux-guerres24 ou durant la seconde guerre mondiale, le bref panorama dressé plus haut montre qu’aucun mouvement significatif en terme de membres, peut à proprement parler être qualifié de fasciste au sein de la droite nationale française.

Toute qualification de fascisme d’un mouvement patriotique français est avant tout une stratégie de reduction ad mussolinium et donc ad hitlerum, mais ne répond à aucun souci de rigueur ou d’honnêteté intellectuelle.

 

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Il s’agit ici essentiellement de la gauche sociétale, issue de la deuxième gauche, née autour de la revue Telos aux États-Unis.
2 Le fameux liberté, égalité, fraternité.
3 Sur une définition assez proche d’Ernest Renan et de son Qu’est-ce qu’une nation ?, et certainement pas völkisch, ce qui s’explique vu la germanophobie de Maurras
Marion Sigaut explique très bien comment les expériences économiques des physiocrates, ancêtres des libéraux, sont une explication à la chute de la monarchie. https://www.youtube.com/watch?v=mqM7g-tv3DY
Maurras était proche d’Alphonse Daudet dans sa jeunesse.
6 Le syndicalisme révolutionnaire est un courant du socialisme, s’opposant au marxisme sur la question du sens de l’histoire. Si Marx croit en un sens de l’histoire, Sorel en héritier de Nietzsche a plutôt une vision cyclique du temps, et rejette les visions téléologiques de l’histoire.
Les méfaits des intellectuels, édition Kontre Kulture. Berth souhaitait faire une synthèse entre les pensées de Maurras et de Sorel suivant le schéma Apollon et Dionysos, Apollon étant Maurras, le grand classique et Dionysos, Sorel, le romantique. Cf Édouard Berth ou le socialisme héroïque (Sorel – Maurras – Lénine), Alain de Benoist, édition Pardès. Après une brouille avec Valois vers 1917, il se rapprocha de Henri Barbusse et de la revue Clarté, avant de revenir au syndicalisme-révolutionnaire, par déception de l’expérience soviétique ayant déjà perçu ses dérives autoritaires. De même il fut toujours très hostile à Mussolini pour excès d’étatisme.
Textes choisis réunissant Réflexions sur la violenceLes illusions du progrès et La décomposition du marxisme édition Kontre Kulture. L’une des idées centrale de son œuvre est la défense d’un mythe mobilisateur, celui de la grève générale, opposant la mauvaise force de l’État à la bonne violence de la révolte prolétarienne.
Les cahiers du Cercle Proudhon, Kontre Kulture
10 Dont le projet est d’être un équivalent dans les milieux nationalistes du Que faire ? de Lénine.
11 Même si Maurice Bardèche et Henry Coston en avaient été les prémices.
12 Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne.
13 Alain de Benoist, Europe, tiers monde : même combat, Robert Laffont, 1986, Paris
14 Quelqu’un comme Ernst Niekish a été envoyé en prison par la République de Weimar, les nazis et les communistes en RDA, ça permet de voir que c’est à la fois, anti-bourgeois, anti-communiste, mais aussi anti-nazi, tout en étant assez russophile, voire même, pro-chinois et pro-turc, sur le thème de l’union continentale des peuples des steppes, ce qu’on retrouve d’ailleurs d’ans l’eurasisme en Russie, représenté de nos jours par Alexandre Douguine
15 Walter Eucken, Wilhelm Röpke
16 Mouvement du Colonel de la Rocque, mort en déportation pour faits de résistance
17 Union démocratique du travail.
18 La droite révolutionnaire, (1885-1914). Les origines françaises du fascisme, Paris, éditions du Seil, 1978, Gallimard, Folio histoire, 1998.
19 On peut donc en déduire que l’Action française et le GRECE n’y correspondent pas, mais le Ku Klux Klan non plus. De manière générale, la droite radicale américaine est anti-centraliste
20 Ezra Pound, Le travail et l’usure, Kontre kulture et Gottfried Feder, Manifeste pour briser les chaînes de l’usure, Le retour aux sources.
21 Ce qui en exclut le Général Pinochet, Franco, le régime des colonels grecs ou des colonels argentins
22 Donc toute la droite bonapartiste-gaulliste-souverainiste n’y correspond pas
23 En sont aussi exclues les droites libérale-sécuritaire et libérale-identitaire, qui de plus n’opèrent pas la critique de l’usure.

Georges Valois

24 Georges Valois fonda de 1925 à 1926 le Faisceau, parti directement d’inspiration italienne. Mais son parcours est complexe. Georges Valois était le spécialiste de l’économie au sein de l’Action française, puis il passa donc au fascisme (durant moins de deux ans) avant de revenir à gauche en fondant le Parti républicain syndicaliste en 1934, de se rapprocher du distributisme et des non-conformistes des années 30. Il mourut en déportation pour faits de résistance. Ce qui le caractérise, c’est avant tout un rejet de la chrématistique, comme le montre son ouvrage, L’homme contre l’argent : souvenirs de dix ans (1918-1928), édition Presses universitaires du septentrion.